Texte: Chantal Herger / Illustration: Livia Graf / Photo: Getty Images, Alamy
Une détonation à réveiller les morts, puis des personnages aussi hauts en couleur que terrifiants qui débarquent dans les rues au son des fifres et tambours. Ça y est, le carnaval a commencé! Les quelques jours où, dans les cantons catholiques surtout, tout s’arrête, à part la fête, les costumes et les guggens.
Au fait, d’où nous vient cette coutume? Pour la Suisse, on retrouve les premières traces de ces festivités vers 1283, mais la tradition ne commence vraiment qu’à la fin du XIVe siècle. Selon le Dictionnaire historique de la Suisse, «le carnaval est né d’un besoin de défoulement avant les contraintes du Carême». Le Carême, c’est cette période de jeûne et d’abstinence selon la tradition chrétienne. Le mot «carnaval» s’est inspiré du terme italien «carnevale», qui veut (plus ou moins) dire «enlever la viande», ce que font les croyants les jours maigres.
L’Église a toutefois essayé plus d’une fois de s’opposer aux festivités. Dès le XIXe siècle, c’est peine perdue: pendant plusieurs jours, les gens organisent des cortèges, des jeux et des bals masqués. À Bâle, les tambours ont vite été adoptés et à Lucerne, ce sont les groupes de guggenmusik qui se sont établis.
Après cet aperçu historique, si tu as envie d’aller faire la fête, surveille les dates des événements près de chez toi. En général, la période des carnavals débute à l’Epiphanie (le 6 janvier) et se termine le Mardi gras (qui varie entre le 3 février et le 9 mars selon les années). À Bâle, le célèbre Morgestraich, le lancement des festivités à l’aube, a lieu le lundi 27 février, avant le mercredi des Cendres. Une occasion de voir le plus grand carnaval de Suisse!
Le carnaval brésilien est célèbre dans le monde entier pour ses tenues élaborées et (très) légères, ses danses, sa musique et ses magnifiques cortèges. Le plus connu de tous est le Carnaval de Rio, avec sa parade dans l’arène Sambódromo. Mais si tu n’es pas trop à l’aise avec la samba et que tu préfères t’amuser dans la rue, pas de souci. File à Salvador, le carnaval vaut aussi le détour là-bas. Question histoire, les Portugais ont amené cette tradition au XVIIe siècle. Au début, elle était réservée à l’élite blanche et ce n’est que plus tard que les esclaves africains ont enfin pu y participer et en ont profité pour populariser la samba. Mangueira, la première école de samba, a été fondée à Rio en 1928. Et c’est aussi la première qui a laissé les femmes participer aux cortèges.
Au Mexique, on fête le carnaval à plus de 200 endroits! Les traditions chrétiennes importées d’Espagne il y a longtemps se confondent parfois avec les coutumes indigènes. Pour commencer, on brûle symboliquement le mal humor, ou mauvaise humeur, qui est représentée par une poupée. On élit aussi la reine du carnaval et le Rey Feo, soit roi moche. Les fêtes les plus connues se passent à Veracruz et à Mazatlán. Le carnaval de Mazatlán est d’ailleurs le plus ancien du pays. On raconte que tout a commencé par un bal masqué de soldats. Désormais, ses cortèges et fanfares sont connus loin à la ronde. À Veracruz aussi, il y a des cortèges, mais ils sont bien plus folkloriques et inspirés de la culture afro-caribéenne. Après plusieurs jours de fête, le carnaval se termine par l’enterrement symbolique de Juan Carnaval.
Une fois par an, la ville minière d’Oruro, située à 3700 mètres d’altitude, se réveille et devient carrément le centre de la fête en Bolivie. La Diablada, une danse folklorique, symbolise le combat entre le bien et le mal et entre les anges et le diable. Une quarantaine de groupes défilent dans les rues, cachés derrière des masques en bois sculptés et des costumes colorés. La Virgen del Socavón, protectrice des mineurs, est vénérée par tout le monde. Le cortège se termine devant l’église du même nom, où les participants enlèvent leur masque. Le carnaval trouve ses origines à l’époque coloniale, mais les indigènes Urus fêtaient déjà un festival appelé Ito une fois par an bien avant que les Européens ne débarquent. Avec le temps, les coutumes du coin et les traditions chrétiennes se sont mélangées.
C’est à Barranquilla, une ville située le long de la mer des Caraïbes, qu’a lieu un des plus grands carnavals au monde. Il commence avec la bataille des fleurs, ou Batalla de Flores. La reine du carnaval, juchée sur un chariot fleuri, traverse la foule et lui lance des fleurs. Ensuite, c’est au tour des danseuses et danseurs costumés d’assurer l’ambiance. Des personnages comme les marimondas, un mix entre un éléphant et un primate, les gigantonas (de gigantesques poupées) ou los cabezones et leurs énormes têtes participent au cortège. Ensuite, pendant la Gran Parada de Tradición, des danses traditionnelles comme le torito (petit taureau), le garabato (le tisonnier) et les hilanderas (les fileuses) ont de quoi donner le tournis... et envie de danser. Pour finir, on enterre symboliquement Joselito Carnaval. Selon la légende, il ressuscite chaque année et meurt le dernier jour de la fête, fatigué et passablement ivre...
Plus près de chez nous, les Allemands savent eux aussi faire la fête. Ils sont d’ailleurs un peu pressés: officiellement, le carnaval commence chaque année le 11 novembre à 11 h 11. L’une des plus anciennes représentations du carnaval en Allemagne date du XVe siècle. On y voit la danse des bouchers de Nuremberg. Avant que la viande ne soit interdite pendant le Carême, ils avaient envie de s’amuser et de se remplir la panse une dernière fois... Plus tard, l’Église a interdit ce genre de fêtes. Jusqu’au début du XIXe siècle, où une forme bourgeoise du carnaval a été lancée. En 1832, le premier «défilé du lundi des roses» a ainsi parcouru les rues de Cologne. Depuis, le cortège y est mené par une triade, composée d’un prince, d’un paysan et d’une vierge. Tout ce petit monde crie «Kölle alaaf» à la ronde, ce qui veut dire «Cologne par-dessus tout».
Tout a commencé par une fête annuelle à organiser pour le club de sport de Windhoek, la capitale. En 1953, un groupe d’immigrés allemands a donc célébré pour la première fois le Windhoeker Karneval. Il s’inspire des traditions allemandes, mais inclut aussi la culture locale. Il y a par exemple un grand défilé avec des fanfares et un bal masqué. On élit aussi un couple princier, à qui on remet symboliquement les clés de la ville. Et bien sûr, les chants, les discours et les danses font partie du concept. Par le passé, certaines personnalités des carnavals de Cologne ou de Mayence avaient même parfois fait le déplacement. Il arrivait donc que de la musique folklorique allemande retentisse en Namibie. Youpi, quel bonheur pour les oreilles! De quoi avoir envie de hurler bien fort le cri de guerre du carnaval, «WI-KA».
En Italie, il y a autant de carnavals que de traditions. Par exemple, celui d’Ivrea est connu pour sa bataille d’oranges. À Viareggio, les superbes chars en papier mâché valent le détour et, dans le Val di Fassa, les personnages traditionnels comme Laché, Marascons et Bufon sont toujours de la fête. Le carnaval de Fano remonte à 1347. Ce qu’il a de spécial, c’est sa musique. On y joue sur des boîtes de conserve et de vieilles tasses. Mais qui dit Italie, dit aussi carnaval de Venise bien sûr et ses magnifiques costumes et masques. Il est encore plus ancien que celui de Fano: il est célébré depuis 1094, mais n’existe que depuis 1979 sous sa forme actuelle. Il commence par le vol des anges par-dessus la place Saint-Marc. Si tu veux y assister, il ne te reste plus qu’à enfiler la bauta, un costume composé d’un manteau, d’un chapeau et d’un masque, et tu passeras incognito.
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